Lors de la conférence annuelle des ambassadeurs français à Paris hier, le Président Macron s’est déchaîné pour solder ses comptes avec des dirigeants africains de l’espace francophone où la France a une assise enfouie dans les profondeurs historiques. Il a expliqué le départ des militaires français de certains pays de son pré-carré à sa manière, provoquant la colère dans certaines capitales africaines. Par Bocar SAKHO –
Un Président devrait-il dire ça ? Macron, qui ne s’est embarrassé de formules ou de codes diplomatiques pour solder ses comptes avec des dirigeants africains, semble l’avoir mauvaise.
Avec la reconfiguration géopolitique en cours en Afrique, le Président français s’est montré passablement agacé à l’occasion de la Conférence annuelle des ambassadeurs français.
Est-ce un déni diplomatique ? Ou un déni tout simplement ? Si Abidjan a été plus convenante, en annonçant une rétrocession des bases françaises, Ndjamena, où les militaires français ont commencé à faire leurs paquetages pour poursuivre leur départ du continent, et Dakar ont demandé leur départ dans le sillage des pays de l’Aes. Une réorganisation du dispositif français s’est enclenchée. Il dit : «Nous avons proposé aux chefs d’Etat africains de réorganiser notre présence militaire. C’est difficile parce qu’il y a des nostalgiques, parce qu’il y a des gens qui ne comprennent pas ou qui ne veulent pas comprendre, et parce qu’on bouscule des intérêts acquis.» Mais, il admet que «c’est une bonne chose parce que le monde change et que nous avons besoin d’embrasser justement ce nouveau partenariat» avec l’Afrique.
Pour lui, l’initiative vient de la France qui a opté pour un réajustement de ses troupes sur le continent. «Nous avons proposé aux chefs d’Etat africains de réorganiser notre présence. Comme on est très poli, on leur a laissé la primauté de l’annonce. Mais ne vous y trompez pas : parfois, il a fallu les pousser», dit-il. Il insiste que Paris n’y a pas été contrainte ni poussée dehors.
«Ce n’est pas parce qu’on est poli, correct, et qu’on se réorganise nous-mêmes, qu’il faudrait que ce soit retourné contre nous en disant : «Ils sont chassés d’Afrique.» Je peux vous dire que dans bien de ces pays, on ne voulait pas enlever l’Armée française ou même la réorganiser. Mais on l’a assumé ensemble. C’est ça le partenariat.» Le Président Macron enchaîne : «Le dialogue avec l’Afrique ne peut pas être l’otage d’un panafricanisme de bon aloi, contemporain, qui utilise en quelque sorte un discours postcolonial.»
«Les dirigeants africains ont oublié de nous dire merci»
Pour les pays de l’Aes, le discours n’a pas du tout été diplomatique. Face aux diplomates, il a estimé que la France a eu «raison d’intervenir militairement en Afrique contre le terrorisme depuis 2013».
Grâce à l’intervention militaire française au Mali, les terroristes, qui faisaient route vers Bamako, ont été éconduits par les militaires français. Si cinquante-huit soldats y sont morts entre 2014 et 2022, les colonels maliens, guidés par Assimi Goita, qui ont pris le pouvoir à Bamako, ont demandé leur départ de leur pays. Ainsi que les Forces onusiennes. Puis, les putschistes nigériens et burkinabè les ont contraints à lever le camp dans leur pays entre 2022 et 2023. «On a choisi de bouger parce qu’il fallait bouger. On a oublié de nous dire merci ! Ce n’est pas grave, ça viendra avec le temps», a ironisé le dirigeant français. Mais, la rancœur semble être tenace en dépit des apparences ? «L’ingratitude, je suis bien placé pour le savoir, c’est une maladie non transmissible à l’homme. Mais je le dis pour tous les gouvernants africains qui n’ont pas eu le courage vis-à-vis de leurs opinions publiques de le porter : aucun d’entre eux ne serait aujourd’hui avec un pays souverain si l’Armée française ne s’était pas déployée dans cette région.» De Bamako à Niamey en passant par Ouaga, le départ était devenu inéluctable ? «On est parti parce qu’il y a des coups d’Etat, parce qu’on était là à la demande d’Etats souverains. A partir du moment où il y a eu des coups d’Etat, où les gens ont dit : «Notre priorité, ce n’est plus la lutte contre le terrorisme, la France n’y avait plus sa place. Nous ne sommes pas les supplétifs de putschistes», insiste-t-il.
«Nous ne sommes pas les supplétifs de putschistes»
Depuis quelques années, la rhétorique anti-française a conquis des opinions publiques africaines. Impulsées par des régimes militaires et de nouvelles voix du renouveau du panafricanisme et des populistes, elles réclament une nouvelle doctrine géopolitique avec l’ancienne puissance coloniale dont les racines sont secouées aussi par l’arrivée des Russes, qui ont comblé le vide laissé à Bamako, Niamey et Ouaga.
Si Macron livre un narratif à la gloire de la France, le processus de départ des soldats français est devenu irréversible. Il a commencé sous Wade, il se parachèvera sous Diomaye précédé sur cette voie par Deby-fils. «Non, la France n’est pas en recul en Afrique, elle est simplement lucide, elle se réorganise. On a choisi de bouger en Afrique (…) parce qu’il fallait bouger», ajoute-t-il. La fin d’une époque.
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