Hier, le Camp Lieutenant Amadou Lindor Fall de Thiaroye s’est replongé dans l’histoire sinistre qui a eu lieu sur son sol. Si on déroule le tapis rouge aux invités du Sénégal, notamment les chefs d’Etat mauritanien, gambien bissau-guinéen, gabonais, le Président Faye est retourné dans ce passé douloureux entre la France et ses ex-colonies. Et le massacre de Thiaroye est un marqueur de cette relation de domination qui a été écrite souvent avec le sang des populations autochtones. Le Camp de Thiaroye a porté ses habits de deuil pour essayer de fouiller ce passé afin de découvrir ce qui s’est passé le 1er décembre 1944. Un pan historique à dévoiler ! Un autre narratif sur la «vraie» histoire de cette tuerie qui aurait fait officiellement 35 ou 70 morts.
Le chef de l’Etat Bassirou Diomaye Faye, avec des chefs d’Etat africains, a commémoré hier le 80ème anniversaire du massacre de Thiaroye. Le président de la République, qui souhaite la manifestation de la vérité sur ce massacre perpétré par la France coloniale, a annoncé des mesures pour que cette histoire ne tombe pas dans l’oubli.
C’est un pas important qui a été franchi pour restaurer la mémoire et la dignité des Tirailleurs sénégalais, avec la commémoration du 80ème anniversaire du massacre de Thiaroye du 1er décembre 1944, présidée hier par le président de la République Bassirou Diomaye Faye avec plusieurs autres chefs d’Etat africains. D’ailleurs, lors de cette cérémonie, le chef de l’Etat sénégalais a promis d’aller plus loin, il a ainsi annoncé cinq mesures. Le Président Faye a décidé d’initier «plusieurs mesures de réappropriation de cette histoire commune avec 16 pays africains frères». De même, il a indiqué «qu’un mémorial à l’honneur des tirailleurs sera érigé à Thiaroye pour servir de lieu de recueillement ouvert à toutes les nations dont ils étaient originaires». Bassirou Diomaye Faye a également annoncé «un centre de documentation et de recherche dédié pour conserver la mémoire» de ces soldats africains ayant participé à la libération de la France du joug nazi. En outre, selon le président de la République, «des rues et places porteront le nom de cet événement tragique, de ces soldats pour inscrire leur sacrifice dans notre quotidien». Toujours dans le cadre de l’appropriation de cette histoire tragique et pour un devoir de mémoire, il a soutenu que «l’histoire de Thiaroye sera enseignée dans les curricula éducatifs».
«Les générations futures grandiront avec une compréhension approfondie de cet épisode de notre passé», a soutenu chef de l’Etat. Mieux, le président de la République renseigne que la Journée du tirailleur est désormais fixée le 1er décembre de chaque année. Il faut rappeler que l’ancien président de la République Abdoulaye Wade avait décrété, en 2004, le 23 août comme journée du tirailleur sénégalais. Cette date a été choisie en référence à celle de la libération de Toulon (Var) le 23 août 1944, où les soldats du 6ème Régiment des Tirailleurs sénégalais sont les premiers à entrer dans la ville. Certains historiens sénégalais ont toujours soutenu que la meilleure date pour rendre hommage aux tirailleurs sénégalais est le 1er décembre.
Le ministre français des Affaires étrangères : «Il n’y a pas d’apaisement sans la justice. Il n’y a pas de justice sans la vérité»
Du côté de la France aussi, le discours a évolué. Après le Président Emmanuel Macron qui a reconnu, dans une lettre adressée au Président Faye, dans le cadre de la commémoration de cet évènement, que c’est un massacre, le ministère des Affaires étrangères de la France est allé plus loin, soutenant que «les douleurs encore si vives provoquées par cette plaie béante dans notre histoire commune, seul un travail de mémoire peut conduire à les apaiser». De ce fait, Jean Noel Barrot, qui était présent à la cérémonie commémorative hier, soutient qu’il «n’y a pas d’apaisement sans la justice. Il n’y a pas de justice sans la vérité». Et d’ajouter : «La vérité, l’histoire et la mémoire ne sont pas des postures, mais des processus portant une part de complexité devant lesquels nous ne devons pas reculer. C’est pourquoi la transmission des archives a été décidée en 2014. C’est pourquoi la France a accueilli une mission d’étude des archives que vous avez mandatée, qui contribue aux travaux du comité dirigé par le professeur Mamadou Diouf. C’est la raison pour laquelle le président de la République vous a écrit, Monsieur le Président, pour vous dire que la France se doit de reconnaître que ce jour-là s’est déclenché un enchaînement de faits ayant abouti à un massacre. Et si la France reconnaît ce massacre, elle le fait aussi pour elle-même, car elle n’accepte pas qu’une telle injustice puisse entacher son histoire.»
Dans la même veine, le ministre français des Affaires étrangères a insisté sur la nécessité de faire jaillir la lumière sur cette page sombre de l’histoire. «Inclinons-nous devant les 202 stèles blanches du Cimetière de Thiaroye, plantées dans la terre rouge du Sénégal comme une invitation permanente à œuvrer pour la justice et la vérité, partout et en tout temps», a-t-il déclaré.
Dans son discours, M. Barrot est revenu sur les évènements ayant conduit à ce massacre. «Et c’est au matin du 1er décembre 1944, ici même à Thiaroye, qu’ils réclamèrent justice dans un immense cri de colère qui retentit encore 80 ans plus tard. Un cri de colère que la France réprima dans le sang, en ouvrant le feu sur ceux-là mêmes qui avaient risqué leur vie pour qu’elle puisse être libérée. Rien ne peut justifier que des soldats de la France aient ainsi retourné leurs canons contre leurs frères d’armes», a-t-il regretté.
Le Sénégal a commémoré le massacre des soldats africains d’Afrique subsaharienne, appelés Tirailleurs sénégalais, et incorporés dans les troupes coloniales françaises, avec une cérémonie officielle présidée par le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, en présence de plusieurs chefs d’Etat africains dont Mohamed Ould Ghazouani, président en exercice de l’Union africaine (Ua) et de la Mauritanie, et de ses homologues de la Gambie, Adama Barrow, de la Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embaló, du Gabon, Brice Oligui Nguéma, et des Comores, Assoumani Azali.
Par Dieynaba KANE-dkane@lequotidien.sn