Avec un taux de prévalence du Vih d’1.5, la région de Kolda enregistre le taux le plus élevé du Sénégal. Il dépasse 5 fois le niveau national, qui est de 0.3. Pour cette maladie qui touche presque toutes les couches dans cette région, le Vih pédiatrique occupe une place très importante avec des infections issues de transmission mère-enfant et d’enfants victimes de viol. Pour inverser la tendance, le Conseil national de lutte contre le Sida (Cnls) et l’Association des journalistes en santé, population et développement (Ajspd) tiennent une caravane de presse dans les régions de Kolda et Kaolack pour rendre plus robuste la riposte contre le Vih dans les ondes, les pages des journaux, les écrans de télés ou smartphones. C’est une manière de relancer le combat de la sensibilisation qui avait connu un coup d’arrêt lors de la survenue du Covid-19.
A Kolda, le Vih/Sida reste toujours une préoccupation de santé publique. Que faire pour inverser la tendance dans cette région qui a un taux de prévalence d’1.5 contre 0.3 au niveau national ? Les autorités essaient de trouver la bonne formule. Il y a le biais de la presse, qui occupe une place très importante dans la sensibilisation pour la lutte contre le Vih. Dr Yaya Baldé, Directeur régional de la santé de Kolda, souligne la place de la communication dans la lutte contre cette maladie qui est toujours présente dans la région de Kolda, même si à un moment donné, des pandémies comme le Covid-19 ont failli occulter cette réalité qui a malheureusement rattrapé le secteur de la santé aujourd’hui. Selon lui, cette dispersion des forces dans la lutte contre cette maladie a fini par réduire le volet communication par rapport au combat, au point que certaines pratiques préventives ont connu un certain délaissement, poussant la population générale à penser que le Sida n’existe plus. «Quand on ne communique pas, ceux qui ne sont pas sur les réseaux sociaux ne connaissent pas les chiffres et ne savent pas qu’une zone comme Kolda a le plus lourd fardeau de cette maladie, avec une prévalence qui est largement supérieure à celle nationale. Donc, cette population, qui est essentiellement composée de personnes qui n’ont pas toujours un contact avec les réseaux sociaux, ne bénéficie pas de cette sensibilisation. Du coup, malgré les stratégies innovantes, les pratiques préventives ont connu une baisse. C’est pourquoi cette démarche que vous êtes en train de faire participe à relancer ce volet communication qui pourra nous ramener au b.a.-Ba de la prévention pour ces stratégies qui ont été anciennement édictées, qui sont encore plus vraies aujourd’hui. Cela veut dire que tout ce qui est double protection, à savoir l’utilisation du préservatif, comportement à moindre risque, tous ces aspects-là doivent être revisités, mais surtout partager la réalité des chiffres tout en continuant les stratégies actuelles», conseille le Directeur régional de la santé de Kolda.
Kolda enregistre un taux de prévalence 5 fois supérieur à celui national
Dr Fallou Niang, directeur de l’hôpital de Kolda, rappelle que le Vih est d’abord une maladie stigmatisante, qui a aussi une connotation culturelle. C’est pourquoi, dans la prise en charge au niveau de l’hôpital de Kolda, il y a tout un dispositif qui est mis en place, à savoir un service social qui travaille activement avec les autres acteurs de la région. «Il met en place des stratégies avancées intégrées au niveau des populations, mais également il y a la gratuité de la prise en charge des autres bilans. Par rapport à la prise en charge psychosociale aussi, on appuie. Le Vih ne vient pas seul, et quand il est là, c’est une maladie immunodéprimante, qui va entraîner la présence d’autres maladies, ce qui fait que le coût de la prise en charge va dépasser le coût du Vih. Souvent il y a des populations vulnérables qui sont exposées, ce qui fait que ça engloutit le budget des familles, ça aggrave la santé financière», renseigne le directeur de l’hôpital de Kolda.
L’annonce du statut sérologique, une équation pour le
service social
Ibrahima Kandé, assistant social au Centre hospitalier de Kolda, avance que beaucoup de personnes vulnérables viennent pour la prise en charge. Et elles bénéficient de leur accompagnement pour prendre leurs médicaments, mais surtout supprimer la charge virale. «Actuellement, dans la cohorte que nous avons, il y a beaucoup de malades qui ont pu supprimer leur charge virale. On aide les patients à supprimer la charge virale, et quand ils le font, ils ne peuvent plus contaminer les autres», se félicite M. Kandé.
Pour les médicaments, les Arv sont gratuits car beaucoup de patients ont adhéré aux mutuelles de santé pour faire leurs analyses sans problème. Cet hôpital, qui se trouve dans une zone frontalière, reçoit beaucoup de malades qui viennent de la Gambie ou des deux Guinée. D’ailleurs, dans leur file active, 460 patients sont suivis dans cet établissement hospitalier.
Pour les enfants infectés, il précise que c’est le pédiatre qui fait la prise en charge. «La prise en charge est seulement concentrée sur les adultes, mais nous n’avons pas les moyens. C’est pourquoi nous avons mis en place une stratégie pour aider les enfants et les ados, et on organise très souvent des séances d’éducation thérapeutique en conviant certains ados pour les sensibiliser sur l’utilité de la prise des Arv et de la suppression de la charge virale. On a mis en place un club pour les ados-jeunes, et nous avons actuellement 15 ados-jeunes suivis. Pour adhérer à ce club, il faudra que le patient respecte son traitement et supprime sa charge virale. Actuellement, ces ados-jeunes sont formés et vont aussi une fois dans les écoles pour sensibiliser, et cela porte ses fruits car certains jeunes viennent ici pour faire le dépistage», ajoute M. Kandé.
Par contre, l’annonce du statut sérologique, qui doit se faire à 12 ans, pose problème. Evidemment, certains parents s’y opposent. «Maintenant, notre combat, c’est de les sensibiliser pour qu’ils puissent annoncer eux-mêmes le statut à leur fils pour que l’enfant puisse être autonome et venir à ses rendez-vous et prendre ses médicaments correctement, sans l’aide des parents», se projette-t-il.
Une unité ambulatoire pour prendre en charge 1834 Pvh
Face à la persistance de cette maladie dans cette région frontalière à la Gambie, la Guinée Conakry et la Guinée-Bissau, l’Unité ambulatoire (Uta) du District sanitaire de Kolda, dédiée à la prise en charge des personnes vivant avec le Vih mais également la population générale, intègre différentes stratégies pour éviter la stigmatisation et la discrimination. Dr Thierno Cherif Sy, médecin, Coordonnateur régional de la prise en charge au niveau de la région de Kolda, par ailleurs coordonnateur de l’Unité ambulatoire (Uta) du District sanitaire de Kolda, expose la situation : «C’est une unité qui prend régulièrement en charge 1834 personnes vivant avec le Vih. Dans cette file active qui a démarré depuis 2006, les patients viennent régulièrement à leur rendez-vous. Nous avons 1394 femmes, 430 hommes et 57 enfants de la tranche d’âge 5-10 ans que nous suivons régulièrement au niveau de cette Uta.»
Aujourd’hui, l’Uta de Kolda se positionne comme une structure de référence vu son taux de fréquentation pour la prise en charge des patients en évitant la stigmatisation. «Les patients qui arrivent dans cette unité, c’est uniquement le médecin qui sait qui est qui. La population générale fréquente sans savoir ce qu’on traite réellement, ce qui nous permet d’éviter la stigmatisation et la discrimination qui sont liées à cette maladie. Mais également nous prenons en charge la tuberculose, quand on sait que c’est la première infection opportuniste qui survient sur ce terrain», souligne Dr Sy.
Cette approche «innovante» a permis de faire des avancées dans la lutte contre cette maladie. Ce qui cadre avec l’objectif recherché grâce à cette unité de traitement, d’autant plus que la région de Kolda a une prévalence très élevée par rapport au reste du pays. «La prévalence de Kolda est présentement à 1.5, alors que celle nationale est à 0.3 ; ce qui fait 5 fois la prévalence nationale. Les populations adhèrent à ce concept d’Uta pour le respect de leur suivi, ce qui fait qu’aujourd’hui elle est le premier site du Sénégal de par le nombre de personnes vivant avec le Vih qui la fréquentent. Donc, nous contribuons énormément à l’atteinte du premier 95, c’est-à-dire que toutes les personnes vivant avec le Vih connaissent leur statut sérologique. Actuellement, le District sanitaire de Kolda en est à 94, 5%. Pour le deuxième 95 (fournir un traitement à 95% des personnes diagnostiquées), nous sommes à 96%. Et concernant le troisième 95 (obtenir une charge virale indétectable pour 95% des personnes traitées), le district est parvenu à atteindre 94, 6% pour le dernier trimestre, qu’on vient d’évaluer au mois d’octobre. Ceci montre que cette stratégie nous a permis d’atteindre presque les objectifs 95-95-95 de l’Onusida», rassure le coordonnateur de l’Unité ambulatoire (Uta) du District sanitaire de Kolda.
Malgré le rôle très important de l’Uta, le District sanitaire de Kolda est confronté au problème de la prise en charge pédiatrique. Les enfants atteints du Sida, qui sont au nombre de 57, sont régulièrement suivis sur une file active de 1834. «Donc, vous voyez qu’au niveau de la prise en charge du Sida pédiatrique, il y a des difficultés qui sont liées à beaucoup de facteurs, notamment par rapport à l’accessibilité géographique et financière de la structure sanitaire de Kolda. Nous sommes une structure qui polarise 41 postes de santé, et nous avons des postes de santé qui sont situés à 95 km du centre de santé. Ce qui fait que dépister certaines couches de la population est très difficile quand on sait qu’aujourd’hui il y a la raréfaction des ressources. Donc, les stratégies de dépistage au niveau de la communauté sont devenues très rares. Et le peu de ressources utilisées est vraiment orienté vers les populations-clés», regrette Dr Sy.
Pourtant, Kolda doit bénéficier d’une stratégie plus pointue à cause de la prévalence très élevée, pour atteindre les différentes couches de la population. «Il faut savoir que nous sommes une région transfrontalière avec trois autres pays dont les prévalences sont plus élevées que celle du Sénégal, mais également du fait de leur plateau technique qui n’est pas du même standing que celui du Sénégal. Nous avons beaucoup de patients qui viennent de ces régions et malheureusement quand ils viennent, vous ne pouvez pas faire de discrimination, d’autant plus qu’ils ont de la famille dans la zone. C’est une autre réalité que nous vivons dans la région de Kolda par rapport à la prise en charge des personnes vivant avec le Vih», note Dr Sy.
En plus du plateau technique, le cas des perdus de vue constitue une épine pour ces autorités sanitaires. D’ailleurs, la grande difficulté de la question transfrontalière et la crainte de la stigmatisation, de la discrimination en sont à l’origine. Selon le coordonnateur de l’Uta du District sanitaire de Kolda, des efforts ont été faits pour éviter cette stigmatisation de la population générale. «Le patient qui ne vient pas à son rendez-vous jusqu’à 28 jours après la date de son rendez-vous est un perdu de vue, s’il n’est pas suivi, il peut transmettre l’infection à d’autres personnes. La question des perdus de vue est là et elle pose problème malgré les efforts qui sont faits. Dans la structure, avec le service social, nous nous organisons de telle sorte que des relances se font régulièrement pour rappeler des rendez-vous à des patients. Mais également quand une personne rate son rendez-vous d’une semaine, des efforts sont déployés pour la rechercher. Malheureusement, il y a certains qui n’ont pas de contacts téléphoniques et les moyens ne suivent pas pour que le travailleur social puisse se déplacer. Il y a beaucoup de difficultés que nous rencontrons dans la prise en charge des personnes vivant avec le Vih», admet le coordonnateur de l’Uta.
Pour améliorer la prise en charge des patients, les stratégies de dépistage doivent être améliorées. Dans le Centre de santé de Kolda, les malades dépistés sont souvent à un stade avancé de la maladie : niveau 3 ou 4. L’objectif d’éliminer la maladie à l’horizon 2030 risque d’être compromis si les patients ne sont pas dépistés au stade précoce. «Il faudrait des stratégies de dépistage adaptées à la population générale. Le constat que nous avons fait, avec notre expérience, quand vous parlez uniquement de dépistage, les gens ne répondent pas. Il faudrait intégrer ce dépistage à d’autres pathologies chroniques telles que l’hypertension artérielle, le diabète, l’hépatite virale B, pour que les populations puissent adhérer à cette stratégie. Mais, il faut également rehausser un peu le plateau technique des structures sanitaires au niveau du Sénégal. Dans cette structure, nous avons la file active la plus importante du Sénégal, mais je suis le seul médecin qui prend en charge cette question. Ce qui fait que quand je me déplace, il n’y a pas de médecin qui puisse prendre en charge ces malades. Il y a des difficultés pour le continuum des soins», alerte-t-il. En plus du déficit de ressources humaines dans cette structure de santé, il y a un problème de plateau technique. «Depuis plus d’un an, nous n’avons pas de radio fonctionnelle, alors que la radiographie occupe une place importante dans le diagnostic de la tuberculose et d’autres infections opportunistes sur les plans bactériologique et biochimique. C’est pourquoi, pour une meilleure qualité de la prise en charge, les Pvh doivent adhérer à des mutuelles de santé afin de faire le diagnostic de certaines infections», conseille le médecin.
Il faut savoir que la région de Kolda abrite trois sites de prise en charge des Pvh : le centre de santé, dédié aux adultes et enfants, l’hôpital de Kolda, un site réservé aux enfants, et le centre médical de garnison, qui s’occupe aussi de quelques enfants infectés.